Une bouffée d'oxygène

Une bouffée d'oxygène

A la recherche des navires fantômes européens...

L’affaire du Probo Koala, sujet d’un récent article sur ce blog, a eu le mérite de révéler le poids des arguments économiques qui influencent, pour ne pas dire qui gouvernent, la gestion des déchets dangereux. Prompts à préserver leurs profits comme les apparences, les pays industrialisés ont la vilaine manie d’expédier ces colis indélicats à l’autre bout du monde, de préférence dans des pays pauvres où la main d’œuvre est non protégée mais bon marché, et les autorités compétentes peu regardantes. Largement ancrées bien qu’inavouables, ces règles tacites ne s’appliquent pas seulement aux cargaisons encombrantes, majoritairement affrétées par la voie des eaux, gain économique oblige. Elles concernent également leurs transporteurs, clés de voûte de ces expéditions maritimes. Mais une fois arrivés en fin de vie, ces géants des mers deviennent comme leurs cargaisons, indésirables. Suivant le même chemin que celles-ci, ils deviennent des navires fantômes, ceux décidant du cap à suivre étant fort soucieux de conserver un anonymat relatif. 

Des bâtiments plus intéressants démantelés qu’assemblés

Chaque année, entre 200 et 600 grands navires marchands obsolètes sont détruits et « recyclés ». A ce bilan, viennent se greffer les navires de pêche, de plaisance et militaires. Encombrants pour certains, ces bâtiments représentent une mine d’or pour d’autres. Générant un marché considérable, le recyclage des matériaux qu’ils renferment joue un rôle fondamental dans l’économie de certains pays notamment asiatiques. Mais, certes bénéfique en termes économiques, cette « aubaine » l’est beaucoup moins en matière de sécurité au travail et de respect de l’environnement. 

En 2009, les principaux sites de démolition des navires de grande taille étaient concentrés en Asie du Sud. Depuis 2004, plus de 80 % des navires ont été recyclés en Inde, au Bangladesh et au Pakistan, estime l’association Robin des Bois. Ces zones de démantèlement doivent leur prédilection à une main d’œuvre bon marché et à la présence de vastes espaces propices à l’installation de tels chantiers. La proximité des lieux de revente des métaux, prélevés à même les bateaux, constitue un autre argument en faveur de l’exportation de ces entreprises de démolition en Asie. En 2007, le recyclage des grands bâtiments marins alimentait 70 % de la production d’acier du Bangladesh. En 2008, 3 millions de bangladais dépendaient ainsi de cette filière. 

L’art de ne pas se salir les mains

Sur le terrain, la réalité est bien moins réjouissante. Sur ces chantiers asiatiques, les ouvriers travaillent généralement sans protection, en sandales dans des terrains très boueux. Au Bangladesh, les ouvriers s’enfoncent jusqu’aux genoux sur certains sites. Dès 2009, des campagnes de sensibilisation ont été mises en place auprès des travailleurs, appelant notamment au port systématique du casque. La Chine et la Turquie ont été les premières à s’engager dans cette voie, suivies par l’Inde. 

En matière de prévention à la pollution, la situation s’enlise. Ces pays d’accueil ne sont pas équipés pour gérer et traiter l’intégralité de ces mastodontes de la mer, dont la composition diffère au gré des fonctions remplies. D’après Robin des Bois, sur 118 navires destinés à être démantelés entre le 7 juin et le 21 septembre 2008, on a recensé 33 tankers, 8 chimiquiers, 6 transporteurs de gaz, 21 cargos réfrigérés, 12 ferries, 2 navires de croisière, 1 de pêche, 4 navires usines, 5 rouliers, 9 de marchandises diverses, 1 transporteur de bétail, 13 porte-conteneurs et 3 vraquiers. Ils sont dès lors susceptibles d’abriter des substances telles que l’amiante, les diphényles polychlorés ou PCB ainsi que des huiles de toutes sortes. L’armateur MSC Shipping Co a ainsi estimé que chacun de ses navires les plus anciens renfermait en moyenne 80 tonnes d’amiante. Or, bien souvent, ces substances sont rejetées à même les plages avoisinantes.
 
Le problème qui se pose aujourd’hui est de taille. La fermeture dans l’urgence de ces chantiers porterait un sérieux coup aux économies asiatiques concernées. En outre, l’apparition de sites de démantèlement occidentaux fortement mécanisés, notamment en Belgique et aux Pays-Bas, n’a pas compensé la diminution du nombre de chantiers de démantèlement au sein de l’UE, qui s’observe depuis une vingtaine d’années. A l’origine d’un « Livre vert » lancé en 2007, l’Union européenne prône des mesures incitatives à destination des Etats détenteurs de ces sites de démolition, les orientant vers des alternatives moins polluantes. En mai 2009, les Etats membres de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), des ONG, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et les Etats Parties à la Convention de Bâle ont adopté la « Convention de Hong-Kong pour un recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires ». Mais en attendant que ce nouvel outil entre en vigueur, les navires restent soumis à la Convention de Bâle.

Si elle ne l’est pas encore en raison d’une flotte encore jeune, l’Union européenne se destine à devenir un acteur clé de ce débat. Sur les 118 navires recensés en 2008 par Robin des Bois, 62 % ont été construits au sein de l’UE et 41 % étaient sous pavillon européen ou issus d’armateurs de l’UE. Les années à venir s’annoncent d’ores et déjà chargées avec en prévision le retrait progressif des pétroliers à simple coque au profit des modèles, jugés plus sûrs, à double coque. Près de 800 pétroliers sont déjà concernés.  

1- Organisation Maritime Internationale.
 
 
Cécile Cassier
 
 


16/10/2012
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