Une bouffée d'oxygène

Une bouffée d'oxygène

Pollutions et catastrophes


Un centre de déchets menace l’un des berceaux de l’élevage équin français

Le 27 avril dernier, à l’occasion d’une nouvelle manifestation initiée par les opposants au projet, le ministère de l’écologie a fait savoir par l’intermédiaire d’Yves Goasdoué, député PS de l’Orne, qu’il réclamait une nouvelle expertise concernant le futur centre de déchets industriels de Nonant-le-Pin, en Basse Normandie. 
 
 

 



 

 
Un recours in extremis
 
Il était temps, diront certains, puisque le dit centre de stockage de déchets industriels, destiné à jouxter le célèbre Haras national du Pin, est presque abouti. Débuté en mars 2012, le chantier arrive à son terme, avec une mise en service imminente. Situé à moins de 500 mètres du centre de la commune de Nonant, il est implanté sur une surface totale de 55 hectares, l’installation en mobilisant 40 à elle seule. Selon les associations Nonant Environnement et Sauvegarde des Terres d’Elevage, il est au cœur de « terres agricoles réputées », plus de 1000 hectares de cultures ou élevages bio s’étalant dans un rayon de deux kilomètres autour du site. 
 
Le Haras du Pin, bastion de l’élevage équin français
 
L’équilibre environnemental de la région n’est pas le seul à avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. De fait, ce centre de déchets jouxte le Haras national du Pin, structure fédératrice de la filière équine et fierté de l’élevage équin. Basés à proximité, d’autres haras sont également concernés. Depuis la découverte de ce projet, les éleveurs font entendre leur désapprobation, exprimant leurs craintes quant aux retombées d’un tel projet : inondations, fuites polluantes contaminant les terres et l’eau… L’enjeu est de taille, la Basse-Normandie s’imposant comme la première région d’élevage du cheval à l’échelle nationale. La filière équine y génère plus de 7500 emplois. Une étude d’impact, réalisée en novembre 2012, a évalué l’impact économique sur la filière équine de l’exploitation du centre de stockage de GDE (Guy Dauphin Environnement) entre 5,8 et 16,1 millions d’euros, et ce dès la première année. L’impact sur le tourisme, lui, oscillerait entre 5 et 20 millions, avec un pic en 2014, année des Jeux Equestres (25 à 40 millions d’euros).   
 
Des preuves… longtemps ignorées ?
 
Officiellement, c’est un rapport, réalisé par un expert hydrogéologique à la demande des associations de défense du site, qui est à l’origine du moratoire exigé par la ministre de l’écologie, Delphine Batho. Selon toute vraisemblance, celui-ci a soulevé suffisamment d’incertitudes pour calmer les rêves de grandeur de GDE, futur exploitant du centre. Connu, ce groupe est aujourd’hui considéré comme le deuxième exploitant français de métaux de récupération. Mais il doit également sa célébrité à son implication dans certains malencontreux dossiers de pollution, dont un qui n’est pas des moindres, à savoir l'affaire Trafigura.  
 
Pour l’heure, rien n’est encore joué. L’intervention de la ministre de l’écologie arrive juste à temps, à l’aube de la dernière étape du processus de lancement : l’autorisation d’exploiter. Apaisant les esprits, celle-ci a déclaré qu’aucune autorisation d’ouverture du centre ne serait accordée avant les conclusions de la nouvelle enquête. Avec une durée d’exploitation estimée à 17 ans, et 30 ans de suivi post-exploitation, un instant supplémentaire de réflexion ne semble pas superflu. Il est vrai que l’on comprend difficilement la logique d’implantation de ce centre d’enfouissement de déchets, au regard des nombreux efforts déployés jusqu’alors pour préserver la grandeur et le patrimoine de cette région d’élevage (pas de produits phytosanitaires agricoles, conservation du patrimoine architectural, espaces verts et attrait touristique etc.). 
 
 
P.S : Si vous souhaitez vous opposer au projet, vous pouvez signer la pétition lancée par les associations investies dans cette cause en cliquant ici
 
Cécile Cassier

06/05/2013
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Pesticides et populations rurales : récit d'un combat quotidien

J’aimerais tant pouvoir n’aborder que des sujets légers et optimistes. Mais l’empoisonnement français aux pesticides, directement lié au choix de politique agricole qu’embrasse la France depuis des années, est une réalité que l’on ne peut plus nier. Enfin, moi, personnellement, je ne peux pas la nier. De fait, vivant entourée de champs dans le département de l’Oise, je suis quotidiennement obligée d’interrompre une reprise à cheval ou une promenade au jardin, car l’heure est à l’épandage dans le champ voisin. Alors, oui, je le confesse, c’est un sujet particulièrement sensible pour moi. Peu savent comme il est difficile de craindre au quotidien pour sa santé, celle de ses proches, celle des compagnons qui partagent notre quotidien. 

 

Témoignage
 
J’ai déjà dû mettre un terme à la carrière sportive de l’une de mes juments, qui étant atteinte d’emphysème, respirait très difficilement. Même sans travailler, je l’ai vu asphyxiée pendant des mois avant d’avoir l’opportunité financière de l’exiler loin, dans un coin de Normandie moins hostile. Aujourd’hui, nous tremblons dès qu’un cheval tousse aux écuries, de crainte de revivre le même cauchemar. J’ai bien entendu essayé de contacter un vétérinaire vivant dans le même village ; j’ai trouvé sa porte close à plusieurs reprises. J’ai rencontré le maire qui m’a plus ou moins fait comprendre qu’il fallait que je retourne dans mon silence, l’agriculteur lui ayant certifié qu’il n’y avait aucun risque pour les animaux. Ce sont donc des pesticides qui attaquent les cellules animales de certains insectes, mais pas celles des chevaux ou d’autres espèces animales. Un petit insecticide intelligent et calculateur en somme.
 
J’ai découvert par la suite que la quasi-totalité des agriculteurs du coin siègent au bureau d’administration de la mairie. Le seul recours dont je dispose aujourd’hui, c’est donc la parole. La communication de manière générale, web, écrit, bouche-à-oreille, pour interpeller le plus de monde possible. Comme vous le constatez, je ne m’en prive pas. Si vous pensez à la santé de beaucoup de gens, n’hésitez pas à en parler autour de vous. Inutile d’attendre comme dans le cas du Mediator, des prothèses PIP, que le nombre de malades s’agglutinent pour enfin ouvrir les yeux. Oui, il y a une très forte probabilité pour qu’un produit qui se veut toxique pour un organisme animal, le soit pour tout organisme vivant. A plus forte raisons, dans le cas d’expositions chroniques et multiples. 
 
Français et pesticides font bon ménage
 
Si ma parole est subjective, je ne suis pas la seule à sonner l’alerte. L’Institut de veille sanitaire (InVS) vient de publier le second tome d’un rapport (1) évaluant l’exposition des français aux substances chimiques de l’environnement. Impliquant un échantillon d’environ 400 personnes, âgées de 18 à 74 ans, ce volet est spécifiquement dédié aux PCB-NDL (2) et à trois familles de pesticides (3) : organochlorés, organophosphorés et pyréthrinoïdes. Se basant sur des analyses de sang et / ou d’urine, ces travaux alimentent la première étude d’imprégnation de la population adulte par diverses substances chimiques en France.  
 
Dans le cas des pesticides organochlorés, interdits dès les années 1940, l’étude révèle des concentrations assez basses, retombée positive d’une interdiction ancienne pour la plupart des composés. Font cependant exception certains chlorophénols, notamment des produits utilisés comme antimite ou désodorisant. 
 
Du côté des pesticides organophosphorés et pyréthrinoïdes, le bilan est encore plus médiocre. Comparés à d’autres pays proches du modèle français, les niveaux français relevés s’imposent parmi les plus élevés. Ainsi, les concentrations de pyréthrinoïdes, à savoir la famille d’insecticides la plus utilisée dans le traitement des cultures et dans l’usage domestique, surpassent celles observées en Allemagne, au Canada et aux Etats-Unis.  
 
Enfin, si la concentration sanguine de PCB (polychlorobiphényles) a diminué en France depuis 20 ans, elle reste préoccupante. Selon l’InVS, « environ 13 % des femmes en âge de procréer (18-45 ans) et moins de 1 % des adultes ont une concentration de PCB totaux supérieure aux seuils critiques définis par l’Anses » (5). D’après les analyses de sang, les concentrations de PCB détectées chez la population française sont globalement supérieures à celles observées dans d’autres pays européens, et « environ 5 fois plus élevées qu’aux Etats-Unis ». Dans le cas des PCB, ce décalage s’explique notamment par une consommation accrue de poissons, contaminés aux PCB. 
 
De quoi alimenter le débat autour du bio 
 
Bien que marquée par mon vécu personnel, j’ai toujours fait montre de patience face au discours entendu, décrivant l’alimentation bio comme un vulgaire effet de mode, apanage des « bobos ». Je suis parfaitement d’accord pour dire qu’une banane bio importée de l’autre bout du monde n’est pas plus écolo que celle produite localement. Alors certes, la réponse actuelle au bio n’est pas optimale. Pourtant, si la demande bio continue à croître, cela permettra peut-être de changer la donne en amont, notamment là où je vis. La décision de faire évoluer notre politique agricole et le produire localement revient clairement aux élus qui dirigent notre pays. Beaucoup de leviers, dont de conséquentes subventions, sont à portée de leurs mains. Mais le changement fait peur et, si vous me le permettez, une fois n’est pas coutume, demande d’avoir des… Certes, l’argent ne coulera pas à flots en choisissant une autre direction, mais il y aura au moins une direction possible. Pour l’heure, l’argent manque déjà, nous nous entêtons à foncer dans le mur, pris dans un engrenage vicieux : terres fatiguées par une production intensive et un rendement qui en pâtit, que l’on étouffe en ajoutant toujours plus de produits à mesure que les rendements diminuent… Les dettes s’amoncellent, et la pression monte.
 
Pour ma part, je continue à croire que les choix des consommateurs peuvent faire pencher la balance dans un sens plutôt que dans l’autre. Dans la mesure de mes moyens limités, j’essaie de privilégier des aliments bio. Je considère inhaler suffisamment de pesticides dans mon lieu de vie pour alléger la part de ceux que j’ingère. Il est probable que si j’habitais en ville, je me rebellerai contre les pots d’échappement, moi qui suis aujourd’hui si attachée à ma voiture. Je ne prétends pas indiquer d’exemple à suivre. J’ai bien conscience que des préoccupations égoïstes sont à l’origine de la cause que je défends. Mais, dans la mesure où je suis un témoin direct de ce qui se passe, je juge utile d’en faire mention. Merci d’avoir eu la patience de lire mon coup de gueule, plus proche de l’appel à l’aide, jusqu’à son point final. Pour l’instant.
 
 
1- « Exposition de la population française aux substances chimiques de l’environnement consacré aux pesticides et aux polychlorobiphényles non dioxin-like (PCB-NDL) ». 
 
2- Les PCB ou polychlorobiphényles sont des produits de synthèse, présentant des propriétés lubrifiantes et isolantes. Ils sont présents aussi bien dans les transformateurs électriques que dans les encres et les peintures. 
« Les PCB dits « Non Dioxin-Like » ou PCB-NDL (…) agissent via un mécanisme d’action différent de celui des dioxines. Ils sont retrouvés en quantité plus importante dans les poissons de rivière que les PCB Dioxin-Like ». (Source : Les dossiers santé - environnement de l’ORS, décembre 2008, n°2).
 
3 – Le terme de pesticides englobe ici toutes les substances ou produits qui éliminent des organismes considérés comme nuisibles. Cela inclut les produits phytopharmaceutiques (pour la protection des végétaux), les biocides (pour la conservation du bois, la désinfection ou la lutte antiparasitaire) et certains médicaments à usage vétérinaire et humain. 
 
4 – La plupart des pesticides de la famille des organochlorés (DDT, lindane…) sont aujourd’hui interdits. Mais, à l’instar de beaucoup de produits de ce type, ils sont persistants dans l’environnement et devraient continuer à nous pourrir la vie, au sens propre comme figuré, encore un moment. Encore mis à contribution, les organophosphorés et les pyréthrinoïdes sont privilégiés pour leur action insecticide.  
 
5- Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
 
Cécile Cassier

02/05/2013
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Plusieurs régions françaises en alerte pollution

La fraîcheur hivernale de ces dernières semaines a semble-t-il eu raison de la qualité de l’air en France. Plusieurs régions, principalement concentrées dans le sud-est du pays, font face à un épisode de pollution aux « particules fines ». Celles-ci sont principalement émises par le trafic routier, le chauffage au bois, l’industrie et l’agriculture. 

 

 
Depuis une semaine, la région Rhône-Alpes est en alerte en raison d’une vague de pollution aux particules fines PM10, à savoir d’un diamètre égal ou inférieur à 10 micromètres. Lors de tels pics de pollution, deux niveaux d’alerte peuvent être déclarés. Le niveau dit « d’information » se limite à des recommandations sanitaires et comportementales. Le second niveau, dit « d’alerte », implique quant à lui des mesures d’urgence, dont la restriction d’activités polluantes. Or, le 28 février dernier, « les seuils réglementaires d’information et d’alerte ont été largement dépassés sur la plupart des zones surveillées », estime l’observatoire de surveillance de l’air Air Rhône-Alpes.
 
Et la situation ne devrait guère s’améliorer à la faveur du chassé-croisé de vacanciers attendu ce week-end, lequel devrait accroître les émissions de particules sur les grands axes et dans les vallées alpines. 
   
Le bol d’air est également de piètre qualité en région Provence-Alpes-Côtes d’Azur puisque, pour la 4ème fois depuis 2012, le département des Bouches-du-Rhône est touché par une longue période de pollution aux particules. Selon l’organisme régional Air PACA, ce nouveau pic est le résultat de conditions météorologiques propices à l’accumulation de ces particules : températures froides, ensoleillement élevé, vent faible. Selon certains experts, le salage et le sablage des routes pourraient également avoir une incidence, en envoyant des particules supplémentaires dans l’air. 

Si ces épisodes de pollution aux particules ne sont pas nouveaux en France, ils gagnent en fréquence et en durée. Ainsi, les Bouches-du-Rhône affichent 10 jours consécutifs de pollution. Ce score devrait encore augmenter au regard des prédictions météorologiques annoncées pour la fin de semaine. Si l’agriculture, l’industrie et le chauffage au bois sont des sources d’émissions de particules, le transport routier en reste la principale cause, du moins dans l’hexagone. Héritage de 50 ans de mesures fiscales œuvrant en ce sens, le parc automobile français est à plus de 60 % diesel. Sachant que la technologie diesel est forte émettrice en particules et que le parc automobile français compte comme l’un des plus diésélisés au monde, le constat s’impose de lui-même.  

Beaucoup d’associations dénoncent ce choix français. J’estime vain pour ma part de s’appesantir sur le passé en cherchant un coupable. Il n’est d’ailleurs pas sûr que ce choix ait été fait en connaissance de cause, l’impact des particules fines sur la santé n’étant pointé du doigt que depuis peu. Mais il serait dommageable de fermer les yeux sur les enjeux sanitaires qui se posent aujourd’hui. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de 2 millions de morts sont dues chaque année à l’inhalation de particules fines, présentes dans l’air extérieur comme intérieur. En France, 42 000 morts par an sont liées chaque année aux pollutions aux particules fines, d’après France Nature Environnement (FNE). Les particules PM10 notamment peuvent pénétrer dans les poumons, gagner la circulation sanguine, exposant les personnes affectées à des cardiopathies, des cancers du poumon, de l’asthme et des infections des voies respiratoires inférieures. 
 
Toutefois, le gouvernement français ne peut plus se payer le luxe de fermer les yeux. Objet d’une couverture médiatique croissante, il doit en outre répondre d’un recours devant la Cour de Justice de l’UE. La France encourt en effet de lourdes sanctions financières pour avoir dépassé à maintes reprises les normes européennes en matière de qualité de l’air. La ministre de l’énergie et de l’écologie, Delphine Batho, a récemment évoqué un « alignement progressif de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence ». Volonté réelle ou souci de sauver la face, cette annonce n’a pas encore été concrétisée.
Cécile Cassier 

02/03/2013
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Pollution industrielle en Mayenne : risque de contamination pour la population

 
En janvier 2011, la préfecture de Mayenne alertait sur une pollution environnementale par des polychlorobiphényles ou PCB dans la zone de Grez-en-Bouère, commune située en Mayenne (53). A l'origine de cette pollution, l’entreprise Aprochim, filiale de Chimirec, est spécialisée dans la collecte et le traitement de déchets industriels. Selon l’Anses (1), il est « difficile d’apprécier l’antériorité de cette pollution », dans la mesure où l’exploitation est en activité depuis 1990. Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’en octobre 2011, 142 vaches issues d’élevages basés à Grez-en-Bouère ont été conduites à l’abattoir pour cause de contamination aux PCB. Depuis 2005, on a également recensé de nombreuses restrictions alimentaires concernant la consommation de poissons pêchés dans le Rhône. 

  • Le 13 juillet 2011, la Direction Générale de la Santé (DGS) saisissait l’Anses pour réaliser une expertise quant à la possible contamination des denrées alimentaires aux environs de l’usine Aprochim. De fait, des analyses effectuées entre janvier et mai 2011 dans les exploitations agricoles situées dans un périmètre de 3 km autour de l’entreprise ont révélé une contamination en dioxines (2) et en PCB dans certains prélèvements de lait, de graisse animale, de produits de vente directe, de fourrage et d’ensilage de maïs. De même, des œufs issus de jardins privatifs présentaient des niveaux de contamination non conformes au seuil réglementaire applicable aux œufs produits et commercialisés industriellement. 
  • Bien qu'aucune trace de contamination n'ait été détectée dans les eaux superficielles et souterraines voisines de l'entreprise, l'analyse des sols reste quant à elle délicate, au regard de l’absence en France de restriction réglementaire d'usage des sols contaminés en PCB. Pourtant, comme le rappelle l’agence sanitaire, les dioxines et les PCB peuvent se disperser sous forme particulaire sur plusieurs kilomètres de distance des lieux d'émission. Face à ces craintes légitimes, des analyses complémentaires, réalisées sur des échantillons non lavés et épluchés de légumes feuilles (scarole et romaine) et de choux, prélevés entre 330 et 2960 mètres de l'entreprise, ont été transmises à l'Anses à l'automne 2011. Ces légumes feuilles présentaient des niveaux de contamination d'autant plus élevés que l'on se rapprochait du site de l'entreprise. Tous les échantillons récoltés dans un rayon d'un kilomètre « présentaient des niveaux de contamination supérieurs (compris entre 10 et 30 fois) aux moyennes de contamination "bruit de fond" (hors pollution accidentelle) observées dans les plans de contrôles des administrations de 2001 à 2004 ». Les niveaux les plus importants de contamination se concentraient ainsi dans un rayon de 500 mètres autour d'Aprochim.  
  • Or, une exposition aux dioxines et PCB via les seuls apports alimentaires suffit à faire peser un risque sanitaire sur la population locale. Aussi, faisant appel au meilleur bon sens possible, l'agence recommandait de « poursuivre les efforts pour réduire les apports alimentaires en dioxines et PCB ». Tenant compte des niveaux de contamination mesurés près du site d'Aprochim et du « profil de consommation » de la population générale, celle-ci « n’exclut pas un risque de surexposition ». Pour prévenir ces risques, elle émet quelques recommandations pour le moins dérisoires et peu rassurantes aux yeux des consommateurs : lavage et épluchage minutieux des fruits et légumes issus des potagers privatifs de la zone géographique concernée, éviter la consommation et le don des œufs produits dans les basses-cours privatives de la zone de Grez-en-Bouère etc. 
  • Face à la difficulté d’estimer l’antériorité de la contamination et la carence de données en matière d’autoconsommation, les autorités sanitaires appellent à la réalisation de mesures d’imprégnation corporelle. C’est dans ce contexte que, le 10 janvier dernier, Claude Gourvil, conseiller général EELV, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Laval, poursuivi en diffamation par l’entreprise Aprochim. En effet, le 8 juin dernier, alors candidat EELV pour la deuxième circonscription de la Mayenne, celui-ci s’était engagé, s’il était élu, à déposer une loi visant à contrer tout conflit d’intérêt entre « les contrôlés » et «  les contrôleurs ». Pour appuyer son propos, il avait évoqué avec une certaine véhémence le cas d’Aprochim et son implication dans la pollution aux PCB. Hier, s’exprimant via son compte twitter, Claude Gourvil a assuré qu’il demandait « la relaxe pure et simple ». 
1- Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. 
2- « Les dioxines constituent un groupe de composés chimiquement apparentés qui sont des polluants organiques persistants dans l’environnement. » (source : OMS).
Cécile Cassier

11/01/2013
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L' épopée du cargo-poubelle Probo Koala : les ONG n'abandonnent pas le navire

Les 19 et 20 août 2006, le cargo Probo Koala déversait près de 530 m3 de résidus pétroliers sur une quinzaine de sites entourant Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire. Affrété par la multinationale néerlandaise Trafigura, ce tanker appartient à la famille de navire OBO (Ore, Bulk, Oil), si redoutée des opérateurs portuaires. Il peut en effet transporter simultanément des minerais (Ore), du vrac liquide ou solide (Bulk) et des hydrocarbures (Oil).
Un bilan humain et environnemental lourd 
Outre l’impact environnemental, le déversement de ces déchets toxiques a fait de nombreuses victimes. Paru en septembre 2009, un rapport de l’ONU (1) fait état de 15 décès, de 69 personnes hospitalisées et de plus de 180 000 consultations médicales. Mais selon l’expert Okechukwu Ibeanu (2) :
« Nous ne savons pas, et nous ne saurons peut-être jamais, le plein effet du déversement de 500 tonnes de déchets toxiques en Côte d'Ivoire ».
Contredisant le bilan officiel, l’Union des Victimes des Déchets Toxiques d’Abidjan et Banlieues (UVDTAB), créée en 2006, estime le nombre de victimes à 35 000, dont 35 décès. Outre une recrudescence de fausses couches (100 fausses couches en date du 10 avril 2009), l’ONG évoque de nombreuses pathologies : asthme, troubles psychiques, troubles cutanés et oculaires, accouchements prématurés, ménopauses précoces, impuissance masculine, naissances d’enfants malformés etc.  
En 2006, le groupe français Trédi récupère 9 600 tonnes de terres polluées par les déchets du Probo Koala, destinées à être incinérées dans l’usine spécialisée de Salaise, dans la vallée du Rhône. En février 2007, l’Etat ivoirien et l’affréteur du cargo passent un accord en faveur de la dépollution d’environ 3 000 tonnes de terres polluées, abandonnées à Abidjan. En septembre 2007, l’Etat ivoirien contacte une société d’origine canadienne, Biogénie. Mais le traitement biologique par bactéries est lent et s’adapte mal à l’urgence du chantier d’Abidjan. Emballés de manière précaire, les déchets sont entassés à ciel ouvert, isolés du sol par des palettes en bois.  
Un accident…pas si accidentel
Pour l’association Robin des Bois, cette catastrophe n’est qu’une illustration supplémentaire des dérives auxquelles conduit la course au profit. Selon elle, Trafigura a préalablement procédé au raffinage sauvage d’une coupe pétrolière mexicaine riche en composés soufrés à Gibraltar, enclave britannique au carrefour de la Méditerranée et de l’océan Atlantique où stationna le Probo Koala de la mi-avril à la mi-juin 2006 (3). Une fois rendue dans le port d’Amsterdam, la multinationale tente de faire passer ces déchets de désulfuration pour des résidus de cargaison. 
Mais l’odeur pestilentielle dégagée par ces déchets met la puce à l’oreille de l’opérateur portuaire Amsterdam Port Services (APS), lequel exige alors le tarif requis pour leur traitement adéquat. La facture pour cette opération passe de 23 à 900 euros le m3. Trafigura refuse l’addition et le navire reprend la mer avec à son bord la cargaison toxique. 
Officiellement, il s’agit de simples déchets d’exploitation. Officieusement, cette cargaison renferme des déchets reconnus juridiquement comme dangereux. Les autorités néerlandaises ont, dès lors, une part de responsabilité dans la survenue du drame, estiment les ONG. En fermant les yeux et en laissant repartir des déchets dont elles soupçonnaient fortement la nature, elles ont failli à leurs obligations juridiques. De fait, au regard de la Convention de Bâle, réglementant les mouvements transfrontaliers et l’élimination des déchets dangereux, l’exportation de ce type de déchets sans le consentement de l’Etat destinataire, constitue une infraction pénale. 
 
Or, lorsqu’il quitte le port d’Amsterdam, le Probo Koala hésite encore sur le cap à tenir. Après une escale au port de Paldiski-Tallinn, en Estonie, il choisit pour destination finale, Abidjan, en Côte d’Ivoire. Il s’assure ainsi des frais d’élimination très avantageux et des contrôles… inexistants, étant entendu que la qualité de l’élimination est à la hauteur de son prix, à savoir négligeable. 
Les multinationales dans le viseur des ONG  
Bien que Trafigura ait toujours nié sa responsabilité dans cette affaire, elle fit l’objet de procédures judiciaires. Le 23 juillet 2010, le verdict du procès (tenu du 1er juin au 9 juillet) reconnaît la dangerosité des déchets de désulfuration. Naeem Ahmed, ex-employé de Trafigura, et Sergueï Chertov, ex-commandant ukrainien du Probo Koala, sont respectivement condamnés à des peines de prison de six et cinq mois avec sursis. Trafigura est, quant à elle, condamnée à verser une amende d’un million d’euros. Restés hors d’atteinte, les dirigeants de Trafigura ne sont pas inquiétés. Revendu et rebaptisé Gulf Jash, le Probo Koala reprend la mer pour de nouvelles aventures. 
Mais ce que l’on considère désormais comme l’un des plus grands scandales d’exportation de déchets européens en Afrique n’est pas prêt de se clore. En effet, le 25 septembre dernier, soit six ans après la catastrophe, Amnesty International et Greenpeace International ont publié un rapport édifiant. Intitulé « Une Vérité toxique », il dénonce les nombreuses transgressions de la législation en vigueur, qui ont conduit à ce désastre sanitaire. Fruit de trois années d’enquêtes, d’interviews de victimes et d’experts médicaux, ce bilan fait la lumière sur les rouages de cette affaire. Et souligne notamment la responsabilité des gouvernements impliqués, qui n’ont pas été en mesure de barrer la route du Probo Koala. Les auteurs du rapport mettent notamment en cause le caractère légal de l’accord conclu entre le gouvernement ivoirien et Trafigura, qui a permis à cette dernière d’échapper à toute poursuite judiciaire dans le pays.
 
Comme l’a si bien résumé Amnesty International, il est question ici :
« (…) de criminalité d’entreprise, d’atteintes aux droits humains et des carences des États qui n’assurent ni la protection des personnes ni celle de l’environnement. On constate ici que les systèmes de mise en œuvre du droit international n’ont pas joué leur rôle pour les firmes agissant à une échelle transnationale. On voit qu’une société a pu profiter des flous juridiques et des conflits de juridiction et que son comportement a eu des conséquences désastreuses. » 
Perspicace, ce message a également bien choisi son moment pour être communiqué. La publication du rapport des deux ONG a en effet coïncidé avec la réunion des États parties à la Convention de Bâle, tenue à Genève la semaine passée. 
1- Organisation des Nations Unies. 
2- Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme de l'ONU sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l'homme.
3- Trafigura aurait profité du fait que les directives européennes, et notamment celles concernant les teneurs en soufre des combustibles liquides, ne s’appliquent pas dans cette zone pour y procéder au raffinage sauvage d’une coupe pétrolière mexicaine très riche en composés soufrés. La méthode employée s’inspirait du procédé Merox, connu pour sous-produire deux gaz nauséabonds et mortels à forte concentration : le mercaptan et l’hydrogène sulfuré. 
Cécile Cassier

08/10/2012
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