Une bouffée d'oxygène

Une bouffée d'oxygène

Airparif mesure les pesticides dans l'air francilien, à la campagne comme à la ville

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Au mois d’août 2014, s’achevait la dernière campagne « Pesticides » menée par Airparif, mettant fin à un an d’analyses et de mesures de l’air francilien. Au total, 171 composés ont été recherchés sur deux sites de prélèvements, situés respectivement en ville et à la campagne. L’étude a permis d’en détecter 48, incluant majoritairement des herbicides et des fongicides. Le nombre total de composés retrouvés en ville est de 38 éléments (1) contre 36 (2) pour les zones agricoles. Si les chiffres sont proches, les types de composés rencontrés diffèrent. De fait, si les insecticides et les acaricides sont l’apanage des milieux urbains, les herbicides remportent la palme en zone rurale.

 

Sans surprise, les zones agricoles présentent les taux de concentration les plus élevés, bien que les niveaux relevés en métropole, liés à des activités non agricoles, ne sont pas négligeables. En moyenne, les concentrations mesurées en zone urbaine et dans le Sud de l’Essonne restent inférieures ou égales à 0.2 ng / m3 (nanogramme par mètre cube) pour respectivement 56 % et 61 % des prélèvements. Mais, dès que l’on atteint des valeurs supérieures à 1 ng / m3, on a presque deux fois plus de chances de se trouver en milieu agricole.

 

Le printemps, cette saison autrefois tant attendue, la magie annuelle qui opère avec l’éclosion des fleurs et la faune qui reprend vie, marque désormais le coup d’envoi des fontaines à pesticides. Ne nous méprenons pas ; ces substances sont utilisées toute l’année. Mais l’étude d’Airparif nous le confirme, le printemps signe un pic du nombre de pesticides détectés dans l’air francilien. Ainsi, 65 %  des substances trouvées sont mesurés au printemps, dont 35 %  uniquement durant cette saison. Le pic est bien entendu plus marqué en zone agricole. Il faudra attendre l’hiver pour constater un net ralentissement des activités, tant en zone urbaine que rurale.

 

En comparant ces données avec la précédente campagne d’Airparif menée en 2006 sur ce sujet, on observe une baisse d’un quart des pesticides utilisés, passant de 29 à 21 entre 2006 et 2014. Cette tendance ne se vérifie pas en zone urbaine, où le nombre de composés est resté le même, stagnant à 19. Quant à la concentration des valeurs mesurées, là aussi, l’évolution est à la baisse, exception faite d’un composé dont la concentration maximale est en hausse : le Metolachlore. Airparif avance comme explication plausible à l’utilisation en hausse de cette substance l’arrêt de plusieurs autres herbicides qu’il aurait fallu compenser.

 

Enfin, autre donnée inquiétante, 15 composés interdits en tant que produits phytosanitaires sont toujours détectés en 2014. La sphère urbaine est la principale concernée, avec 52 détections contre 14 en zone rurale.  Cela peut notamment s’expliquer par la diversité des usages propres aux particuliers et par le stockage à long terme de produits qui refont surface longtemps après leur interdiction.

Si l’on commence tout juste à s’inquiéter de mesurer la proportion de ces substances joyeusement relâchées dans l’air, il n’existe toujours aucune réglementation en la matière, ni même de dispositif de surveillance. L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a certes été officiellement saisie sur la question. Mais de là à ce que tout le monde se ressaisisse, nous pourrions bien attendre longtemps.

 

Ces récentes données donnent une nouvelle saveur au discours ambiant (puisqu’il est ici affaire d’ambiance), que l’on nous sert de toute part, à des sauces différentes. Ce martèlement dans nos esprits malléables, avec cet arrière-goût bien culpabilisant, scandant que la pollution de l’air est majoritairement le fait de nos damnés véhicules et de nos mauvaises habitudes de consommateurs outrageux. Il serait certes de mauvaise foi de prétendre le contraire. Mais cette satanée boîte à quatre roues a déjà mauvaise presse, la vilaine ; elle est tellement plus facile à tacler. Le petit plaisir individuel qu’il est tant plaisant de déprécier, si belle matière à la culpabilisation. Il est bien plus délicat de toucher à la sacro-sainte agriculture, affaire de travail de la terre, cette communion ancestrale avec la nature. Elle nous nourrit, mal mais quand même. D’ailleurs, ce n’est pas elle qui nous nourrit mal ; ce sont ceux qui l’exploitent.

 

Mais on oublie bien vite les multiples débouchés de notre région, malgré les champs qui défilent à travers les vitres de nos voitures. L’agriculture est aux portes de la ville et, à bien plus petite échelle, dans nos jardins. Et ce n’est pas une mauvaise chose, bien au contraire, cette combinaison du rural et de l’urbain. C’est plus la façon de penser l’agriculture qui appelle à réflexion. De mauvaise foi, n’en déplaise à certains, le discours que l’on nous rabâche sans cesse omet d’autres formes de pollution plus latentes, que l’on a continuellement sous les yeux, dans le nez, que l’on respire d’abord, puis que l’on déguste ensuite, tel le fruit empoisonné. Le bon air de la campagne a déserté depuis fort longtemps ; les épandages à grande échelle, à grande fréquence, sont désormais le quotidien de ces paysages. Les abeilles disparaissent, les problèmes respiratoires deviennent le mal du siècle pour nous, et nos compagnons canins, félins, équins etc.

 

Et nous, pauvres habitants de ces zones désormais sinistrées mais qui s’ignorent comme telles, nous n’avons que le droit de nous taire. Car qui siègent aux tables des mairies, des collectivités ? Les grands possesseurs des terres agricoles qui vous entourent et jalonnent vos maisons et jardins, ces grands maîtres locaux qui font le beau temps et la pluie aux pesticides. L’omerta est partout, et bien plus pernicieuse quand elle n’est pas reconnue. Et, lorsque vous avez le malheur d’ouvrir la bouche, de protester auprès des « élus », dont vous ne vouliez pas, on vous accueille avec cet air goguenard et sûr de lui, sûr de votre impuissance à agir. Comment ça, vous n’êtes pas heureux de prendre votre petite dose quotidienne de substances cancérigènes à l’arrivée de ce beau printemps ? Comment ça, vous ne pouvez pas vivre les portes et les fenêtres ouvertes l’esprit tranquille, laisser vos enfants gambader le long des champs, accueillir vos amis au barbecue du week-end, laisser paitre vos animaux à l’air libre sans que leur respiration devienne saccadée ? Et que l’on vous dit que ces substances actives et bien pensantes ne s’attaquent qu’aux nuisibles, les malignes que voilà, ces petites molécules qui ne ciblent que les cellules à détruire, que celles qu’il faut et non toutes espèces confondues.  

 

C’est quand même sidérant cette manie de nous prendre pour de sombres idiots. Nous sommes contraints d’assister à ce manège tous les jours, reclus derrière nos fenêtres, le regard inquiet. Et on crie dans le vide. On passe pour des paranoïaques, des âmes sensibles. Oui, mon âme est sensible lorsqu’il s’agit de ma santé, et je ne vois pas en quoi il y a matière à avoir honte. Je ne prône ni les vaccinations à outrance, ni les médicaments à chaque repas. Je suis pour le bien-être, le bon vivre, le verre d’alcool chantant avec les amis, la bonne table. Et je suis contre l’empoisonnement récurrent, à petite dose mais quotidien, persistant. Je n’y vois aucune contradiction. Alors, certes, on a un peu réduit l’usage des pesticides. La belle affaire. L’effort est là, même s’il est modeste, mais la pensée profonde est restée la même.

 

Il s’agit pourtant de notre santé que l’on démolit quotidiennement. Je ne comprends pas cette aptitude collective, de masse, si courante à fermer les yeux sur des problèmes qui nous touchent directement. Quel sentiment d’impuissance à vivre près des lieux de production et à voir tant de gens se voiler la face, à chaque bout de la chaîne. Que l’on nous critique encore, à la vue des produits bio qu’abrite notre panier de courses. Je vous inviterai chez moi à un barbecue lorsque les pattes menaçantes de l’épandage se promèneront dans le champ voisin. Vous pourrez ainsi le respirer à pleins poumons. Et je vous inviterai tous les jours pour que le plaisir soit quotidien. Les produits bio ne sont peut-être pas à 0% de pesticides mais ils les réduisent considérablement. Et c’est en augmentant la demande, nous, en tant que consommateurs que nous pourrons influer sur la production en amont, de sorte que la production bio devienne plus locale, plus étendue, et donc moins contaminée par les mauvaises habitudes ambiantes. De la consommation dépend la production. On nous sert seulement ce que nous acceptons de consommer, c’est aussi simple que ça.

 

Mais les mauvaises habitudes ont la dent dure et la responsabilité bien souvent difficile à admettre. Elle n’est pourtant pas lourde à porter quand on est plusieurs. L’effort pour améliorer le bien commun ne peut être que collectif ; c’est l’évidence qui parle. Et, dès lors, l’inertie devient la meilleure excuse pour continuer à ingurgiter sans réfléchir, ni contester ce que l’on vient nous asperger à domicile. Et quand à ceux qui nous disent de déménager, que ces terres sont agricoles et que c’est leur vocation depuis toujours, je dirai que c’est faire preuve de bien de mauvaise foi. C’est nous, les consommateurs, qui vous font vivre, vous, les prétendument amoureux de la terre qui la détruisez sans vergogne ; nous qui consommons sans broncher les saloperies que vous faites pousser à vitesse grand V, en épuisant toujours plus cette pauvre terre qui rechigne de plus en plus à nous nourrir, à juste titre d’ailleurs. Je ne prétends certes pas que le quotidien de ces travailleurs est un parcours de santé, c’est le cas de le dire. J’ai bien conscience de la pression que fait naître la mondialisation et notre société de consommation. Mais le système agricole français est défaillant, comme bien d’autres d’ailleurs. A grands coups de subventions gouvernementales qui ne résolvent rien et assurent prospérité à ces mauvaises habitudes, devenues immuables.  Quel bel héritage on se crée, qui bousille tout : producteurs, matière première et consommateurs. Mais personne ne bouge et tout le monde prend sa becquée en serrant les dents, et en se disant que peut-être demain, ça ira mieux.

 

Il n’est pas question de pointer des responsables, de revenir sur les erreurs commises, qui ne sont la faute de personne. Seulement de les admettre. D’admettre où nous en sommes arrivés aujourd’hui. Et de renverser la tendance. Pourquoi le changement inquiète-t-il tant ? Pourquoi ne pourrait-il servir les intérêts de tous ? Mais nous sommes terrifiés à l’idée de voir nos petits intérêts lésés, alors on patiente et on accepte ce qui est. L’homme est pourtant un être intelligent, et niveau évolution, il ne s’était pas mal débrouillé jusqu’à présent. Consommateurs, producteurs, c’est pour tous le même combat. C’est à nous d’œuvrer, car si l’on s’en remet aux têtes qui se disent pensantes et qui sont à la tête de notre pays, nous allons gaiement continuer à creuser notre tombe. Mais ne vous inquiétez pas, d’ici là, les laboratoires nous auront préparés de bonnes petites pilules bleues, rouges, noires, vertes, pour « soigner », du moins atténuer, tous les maux que nous nous serons nous-mêmes infligés. L’histoire n’est pas nouvelle mais toujours triste à mourir ; soigner les symptômes pour ne pas avoir agir à la source. Même si celle-ci est destinée à se tarir un jour.

 

1- Source : Airparif. Listes des composés détectés en milieux urbain et rural.

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Cécile Cassier



12/05/2016
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