Une bouffée d'oxygène

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Le Déclin de l'empire mâle - Part B

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Voici l'article source :

 

Force, autorité, prouesses sexuelles et domination masculine, la virilité 
a longtemps constitué la fierté des mâles. Avec les changements contemporains, elle semble cependant avoir pris un peu de plomb dans l’aile.

 

Des guerriers, des héros, des patriarches, des séducteurs… des hommes, des vrais ! Une histoire de la virilité sort en cette rentrée. Trois passionnants volumes qui réunissent une quarantaine de contributions et déclinent les figures du mâle occidental au cours de l’histoire.

 

À point nommé pourrait-on dire, en ces temps de scandales médiatiques sur les affaires de mœurs. À l’heure aussi où, depuis un demi-siècle, la montée en puissance des femmes, la reconnaissance des gays, la diversification des figures masculines ont introduit un bouleversement dans la définition des identités de sexe et, selon les auteurs, un « malaise dans la part masculine de la civilisation ».


 

Lorsque voici déjà vingt ans, Georges Duby, grand historien aujourd’hui disparu, et Michelle Perrot avaient publié une monumentale Histoire des femmes (1990-1991), l’entreprise semblait novatrice et hardie. Les études sur le genre (entendu comme la construction sociale des sexes) se sont multipliées, faisant évoluer les questionnements sur le féminin, le masculin et les rapports entre les sexes. Mais, une histoire du sexe mâle sur le temps long manquait à l’édifice… 


 

Il existe, selon les auteurs, depuis la nuit des temps, une représentation d’un « ethos viril, hégémonique, fondé sur un idéal de force physique, de fermeté morale, de puissance sexuelle et de domination masculine ». Le projet de cette histoire culturelle est de montrer comment, à partir de cette matrice, les modèles ont varié au fil des temps et des contextes sociaux. Le découpage en trois volumes atteste de ces évolutions ; l’Antiquité et le Moyen Âge inventent leurs modèles virils, le XIXe siècle en constitue le triomphe, tandis que le XXe siècle initie une période de doute et de remise en question… Le modèle viril serait-il arrivé à son épuisement ? C’est toute la question soulevée dans le troisième tome de l’ouvrage qui interroge «  le déclin de l’empire mâle ».


 

Même s’il est impossible de les citer toutes, arrêtons-nous sur quelques contributions dont chacune apporte son lot d’illustrations, d’anecdotes et lève parfois le voile sur des pans longtemps occultés de l’histoire de nos ancêtres. Chacun à leur manière, Grecs et Romains avaient une conception de la virilité assez « gauloise » (si l’on peut se permettre cet anachronisme). Maurice Sartre, grand spécialiste de l’Antiquité grecque, rappelle le caractère « pédophile » de l’éducation grecque.

Outre l’apprentissage de l’endurance et du maniement des armes, les adolescents (entre 12 et 17 ans) étaient soumis à la protection de leur précepteur-amant. L’éros masculin, pour les Grecs adultes et notamment les puissants, est un signe de distinction. Nulle infamie ne s’attache aux amours masculines, explique M. Sartre.

Cantonnées au gynécée, les épouses légitimes ne sont là que pour la reproduction, soumises à l’entière autorité du mari, qui va le plus souvent chercher son plaisir sexuel auprès d’esclaves et de prostitués, masculins ou féminins, ou dans des relations adultérines en dehors du domaine patriarcal. Les Romains semblent aussi avoir été adeptes d’une sexualité débridée. Orgies et autres rendez-vous sont l’occasion de fellations, sodomies, pluripartenariats… Le vir est un mari et un mâle actif dont les exploits sexuels sont source de prestige. Le tout est, comme l’avait écrit ailleurs Paul Veyne, de « sabrer et de ne pas se faire sabrer ». César était vu par Suétone avec mépris comme « l’homme de toutes les femmes et la femme de tous les hommes », cela n’occultait pas pour autant son prestige militaire et politique…


 

Qualifiée par Georges Vigarello de « force abrupte et domination indiscutée » de l’Antiquité et du Moyen Âge, la virilité des Temps modernes s’adapte à l’adoucissement des mœurs et aux raffinements instaurés dans les cours des puissants. Bravoure, gloire, honneur, maîtrise de soi, élégance, prestance en deviennent les attributs. Les gentilshommes des XVIe et XVIIe siècles s’adonnent à l’art de la danse pour séduire leurs belles. Ils se parent de pourpoints, de perruques et de dentelles, cela dit, ils n’oublient pas de mettre en valeur la braguette, rembourrée, hautement colorée et parfois ornée d’un nœud…

Encore faudrait-il distinguer entre milieux populaires et aristocratiques, comme le signale Arlette Farge qui s’arrête sur les jouissances du peuple, elles aussi vagabondes mais non exemptes de violence dans les « viriles captations de la femme ». En résumé, « chasser, danser, se battre en duel, se saouler à la taverne et courir les filles », telles sont les activités du mâle de l’époque moderne.


 

De tout temps, la virilité fut considérée comme une vertu qui asseyait la domination du sexe fort. Mais Les Lumières et après elles le XIXe siècle en renouvellent les codes et la transforment en une véritable injonction morale. D’abord avec les préoccupations des physiologistes et des médecins hygiénistes, hantés par la crainte de la dégénérescence. La masturbation et l’homosexualité deviennent des tabous absolus. Énergique, autoritaire, courageuse, telle est la figure virile dont le contre-modèle est celui du couard, de l’impuissant ou du sodomite.


 

À la caserne, à l’usine ou au café (ces « lieux de l’entre-soi masculin » décrits par André Rauch), le mâle baraqué affiche ses exploits guerriers tout aussi bien que ses conquêtes sexuelles. Le chasseur, l’explorateur, le héros sportif ou guerrier sont à l’honneur.


 

Au pensionnat ou au collège, le jeune garçon est appelé à s’endurcir et afficher sa virilité naissante. Dans un contexte de guerres coloniales, et de désir de revanche contre l’Allemagne, la conscription à partir des années 1870, la création des bataillons scolaires dans l’école républicaine exaltent une virilité associée au culte du héros et de la victoire. C’est au total un « modèle archaïque dominant », inscrit dans les rôles sociaux, les représentations, la culture des images qui perdure jusqu’au XXe siècle. 


 

« À genoux les gonzesses ! » suivi de « Debout les hommes ! » ponctuait encore le rite d’initiation des parachutistes durant la guerre d’Algérie dans les années 1960, relate Stéphane Audoin-Rouzeau. Pourtant, souligne cet historien, la Grande Guerre avec le retour des invalides par centaines de milliers, amputés, démembrés non seulement de bras et de jambes, mais aussi parfois castrés par la mitraille, va apporter un sérieux coup de canif à l’idéal « militaro-viril », exalté dans les prouesses guerrières.

 

À ce changement qui entame le prestige de la virilité viennent s’en ajouter d’autres non moins majeurs. Notamment entre les deux guerres mondiales, sur le front du travail : avancées du machinisme, bureaucratisation des sociétés urbaines, chômage croissant engendré par la grande crise (1929) induisent une déqualification de la figure du travailleur. Sans compter les progrès de l’égalité entre les sexes et la chute du patriarcat.


 

À partir des années 1960-1970, les femmes acquièrent des droits dans la sphère privée, investissent la sphère publique, la violence masculine est condamnée par la loi. Autant de coups portés à une domination masculine fustigée à travers la figure du macho.


 

Si le spectre de la dévirilisation a été une inquiétude récurrente (l’ouvrage en atteste), il n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui chez les psychanalystes, certains philosophes ou essayistes qui déplorent un déclin du pouvoir masculin, la perte de l’autorité paternelle ou même la montée de l’impuissance sexuelle provoquée par une toute-puissance castratrice de la gente féminine… 


 

L’homme viril serait-il une espèce en voie d’extinction ? Le constat des auteurs est plus nuancé. La libération des mœurs par exemple a instauré une compétition accrue entre les hommes et la diffusion du porno valorise les images de mâles très virils. Une belle étude de S. Audoin-Rouzeau sur les femmes militaires (entrées dans les armées depuis les années 1970) montre que même sous des dehors d’égalité des sexes, le rôle des hommes est bien différencié de celui des femmes (souvent par exemple maintenues à l’arrière des combats). Historienne du féminisme, Christine Bard souligne l’attrait toujours présent des femmes pour la virilité. Si elles ont lutté contre une virilité violente et peu respectueuse de l’autre sexe, c’est plutôt le sexisme qui est combattu aujourd’hui. On parle de masculinité plus que de virilité, une masculinité dépouillée des oripeaux de la misogynie et du phallocentrisme.

 

Martine Fournier, Histoire de la Virilité, Magazine Sciences Humaines.

 



18/08/2013
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