Une bouffée d'oxygène

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Les nouveaux visages de la jeunesse

Eu égard leur goût prononcé pour les gadgets électroniques qui envahissent notre quotidien, on pourrait penser que les jeunes sont les piliers d’une société centrée sur la consommation. Une récente enquête du Crédoc (1) vient de mettre à mal ce présupposé. D’après ces travaux, la nouvelle génération se détourne de la si prisée « possession » pour inventer d’autres façons de consommer. Et ce ne sont pas les seules évolutions que l’on observe. 
 
  • Qui sont les « jeunes d’aujourd’hui » ? De l’avis même du Crédoc, ces jeunes ont plusieurs visages : diplômés du supérieur, sans diplôme, cadres, ouvriers, en couple, parents, célibataires… Tous jouent un rôle important dans le devenir d’une société en perpétuelle évolution. Intitulée « Les jeunes d’aujourd’hui : quelle société pour demain ? », l’étude estime que la tranche d’âge 18 – 29 ans apporte « une approximation satisfaisante des contours de la jeunesse ». Une période qu’elle définit en ces termes : « Pleinement revendiquée, cette période de la vie s’est allongée et n’est plus seulement un temps d’attente et d’aspiration à une vie d’adulte ».
 
  • Le terme « revendiqué » employé ici est judicieux car, comme on le constate, cette nouvelle jeunesse n’en a pas fini avec l’individualisme. S’interrogeant sur son rapport avec la politique, les auteurs du Crédoc décrivent « un rapport différent à la vie publique, fait notamment de pratiques nouvelles d’engagement et de l’investissement de valeurs telles que le libéralisme en matière de mœurs, le changement sociétal, l’ouverture au monde et le rejet des discriminations, conjuguées à une certaine sensibilité à l’environnement ». En somme, il est question d’une plus grande attention à ce qui se passe autour de soi, aux personnes côtoyées et à l’environnement dans lequel on évolue. Mais, bien que gagnée par cette sensibilité à autrui et à l’ailleurs, cette génération ne remet pas en cause la force de l’individualité et le droit qu’elle confère en terme de choix de vie, de relations etc. Le Crédoc en conclut : « (…) On est face à une génération libérale en matière de mœurs, mais attentive à la nécessité de la régulation sociale en termes d’injustice générée par les inégalités économiques dont les jeunes en sont les premières victimes ». 
 
  • De fait, le contexte socio-économique n’est évidemment pas sans rapport avec cette orientation. Actuellement, les revenus des jeunes de 18 – 29 ans sont en moyenne plus faibles que ceux de leurs parents au même âge, alors que leur niveau moyen de diplôme s’est élevé. On recense ainsi 70 % de bacheliers pour les « jeunes générations » contre 20 % dans la génération « Mai 68 ». Autre élément divergent, les jeunes d’aujourd’hui doivent faire face à de nouvelles contraintes économiques, dont des dépenses de logement plus importantes, malgré des revenus moindres. Mais, loin de les abattre, cette conjoncture morose a poussé les jeunes à « développer des comportements stratèges », lesquels se traduisent notamment par la multiplication des sites internet comparateurs de prix, la banalisation de l’accès aux offres low cost… 
  • Mais ce sont surtout les types de dépenses qui sont en train d’évoluer. Soulignant l’attachement des jeunes pour des « valeurs d’hédonisme fortes », l’étude démontre que les jeunes résistent à la crise en accordant une place importante dans leur quotidien aux loisirs, à la restauration, à l’hôtellerie et à la communication. Leur niveau de dépenses sur ces postes est ainsi plus élevé que celui des générations précédentes. Ils compensent en réduisant le budget dévolu à l’alimentaire, devenu une « variable ajustement ». Concrètement, les jeunes d’aujourd’hui préfèrent manger des pâtes et sortir voir leurs amis ou s’adonner à leurs activités de détente. 
  • Souvent critiquée, l’invasion des technologies de l’information et de la communication (TIC) n’a pas conduit ces jeunes à l’isolement. Si le temps passé sur Internet a fortement augmenté, il n’affecte pas leur vie sociale et civique, la génération actuelle étant autant « intégrée dans un réseau relationnel amical » que la précédente. D’après l’étude, ni la pratique d’activités sportives, ni les sorties au cinéma n’ont fait les frais de l’avènement des TIC. Mais si le temps imparti ne change pas, la manière de faire, elle, diffère. De nouveaux modes de relation à l’autre se dessinent. Avec l’entrée dans l’univers virtuel, les frontières géographiques sont gommées. Si ce dernier point est plutôt positif, l’abolition progressive entre espace privé et public, elle, l’est moins.
  • Ne nous leurrons pas, notre société reste une société de consommation, pour ne pas dire de surconsommation. D’une manière globale, les jeunes d’aujourd’hui consomment plus au même âge que les générations passées. Mais comme l’étude du Crédoc le révèle, ils sont en quête à la fois de sens et de lien social, ce qui implique qu’ils donnent du sens au lien social, une donnée bien moins acquise que ce qu’il n’y paraît. Ils cherchent toujours à affirmer leur identité au travers de choix de marques et d’enseignes, mais tout porte à croire que leurs critères de choix sont en train d’évoluer. Consommer certes, mais différemment. C’est à cette conclusion qu’aboutit avec beaucoup de justesse le Crédoc : « (…) Ces jeunes générations développeront de nouvelles formes de consommation en préférant l’usage à la possession ». Certaines sont déjà en marche : l’autopartage, le co-voiturage, la prolongation de la durée de vie des objets et leur reconversion, la location, le troc, les achats groupés…
  • Cette étude m’a, pour ma part, offert un modeste réconfort dans un pessimisme ambiant devenu étouffant. Dans un discours général hanté par la crise, la hausse du chômage, dont je suis directement touchée, et les difficultés qui nous attendent, elle nous souffle d’avoir confiance en la capacité des gens à s’adapter, à tirer parti du contexte auquel ils doivent faire face, sans cesser de profiter des bienfaits de la vie. Si on lit entre les lignes, on comprend que, contrairement à ce que l’on nous rabâche, les jeunes d’aujourd’hui vivent et ne se contentent pas de survivre.  
 
 
1- Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des Conditions de Vie. 
Cécile Cassier


08/03/2013
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