Une bouffée d'oxygène

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Mercure dentaire : patients et dentistes grincent des dents

Apparu dès le 19e siècle, l’amalgame dentaire (1) à base de mercure est encore largement utilisé aujourd’hui. A l’heure où les scandales sanitaires se multiplient, il est pour le moins surprenant que l’on tolère la présence dans le corps humain d’une substance reconnue toxique. Selon l’association Non au mercure dentaire, le mercure est ainsi toxique pour le système nerveux (neurotoxique), pour les reins (néphrotoxique ), pour le système reproducteur (reprotoxique), pour le système immunitaire (immunotoxique)… L’intoxication au mercure ou « hydrargyrisme » a d’ailleurs été la seconde maladie professionnelle répertoriée dès 1919, après le saturnisme (2).

L’Europe recule, la France s’obstine 
Sensibles aux nombreuses études scientifiques mettant en doute son innocuité, plusieurs Etats ont réagi, interdisant le recours à l’amalgame au mercure dans le cadre de traitements dentaires. C’est notamment le cas de la Norvège, de la Suède et du Danemark. D’une manière globale, la plupart des pays européens renoncent peu à peu à ce type d’amalgame, exception faite de la France. Pourtant, en juillet dernier, les ministères de l’environnement et de la santé ont déclaré ne pas s’opposer à une suppression des amalgames au mercure dans le traitement des caries. Mais il faudra plus qu’une timide non opposition pour faire évoluer favorablement la situation. Actuellement, la France consomme le tiers des amalgames européens. 

Un puissant lobby dentaire…

En octobre 2011, les associations opposées à cette pratique obtinrent de l’Afssaps (3) la promesse d’une nouvelle expertise d’ici 2012. Mais force est de constater que le dossier n’a pas connu d’évolution majeure depuis lors. L’heure presse pourtant, les négociations internationales visant à adopter une réglementation contraignante sur le mercure devant se clore en janvier 2013 (4). Appuyés par la Fédération Dentaire Internationale (FDI), l’Association Dentaire Française (ADF) et l’Ordre National des Chirurgiens Dentistes (ONCD) font pression pour préserver cet amalgame dentaire peu coûteux et facile d’utilisation. Mais, à la lumière de récents événements, la situation s’avère plus nuancée qu’il n’y paraît.

… qui perd de son unicité

D’après Réseau Environnement Santé (RES), des voix dissidentes se font entendre au sein de ces organismes. En effet, alors que l’ADF et l’ONCD ont envoyé une lettre co-signée à Marisol Touraine, ministre de la santé, l’exhortant à contrer toute mesure d’interdiction à l’encontre de l’amalgame dentaire, plusieurs dentistes français se sont mobilisés contre cette démarche. Dénonçant l’absence de consultation préalable à cette initiative jugée contestable, ils ont rédigé une lettre-pétition afin de notifier leur désaccord avec l’ONCD. RES compare cette « rébellion » en interne à un acte de bravoure, eu égard à la forte influence de cette institution sur ses membres. Les praticiens contestataires invoquent nombre d’arguments solides, dont la dangerosité du produit tant pour les patients que pour les dentistes et leurs assistants(s), et des alternatives largement testées (5). Bon nombre de dentistes exercent ainsi depuis 20 ou 30 ans sans recourir au mercure dentaire. 

Patients non consultés, non diagnostiqués, non pris en charge

Bien que l’amalgame dentaire à base de mercure soit de plus en plus décrié, les patients des cabinets dentaires ne sont toujours pas consultés quant aux soins pratiqués, ni informés quant aux risques encourus. Leur non information fait donc office de consentement tacite. De même, une fois les pathologies apparues, l’assistance reste nulle. Difficiles à diagnostiquer, les patients intoxiqués ne bénéficient d’aucune prise en charge. 

En attestent les récents rebondissements, le mercure à usage dentaire n’a donc pas fini de faire parler de lui. Si le lobby dentaire n’a certes pas dit son dernier mot, il doit faire face à de plus en plus d’adversaires sur cette question. Il ne faut pas oublier que le mercure doit notamment sa présence dans les plombages à l’éviction du plomb, en raison de sa toxicité avérée. Ce dossier est d’autant plus délicat que l’amalgame dentaire à base de mercure ne représente que la face émergée de l’iceberg. De nombreux produits renferment du mercure, à l’instar d’instruments médicaux et de laboratoire (thermomètres, tensiomètres etc.), de batteries, de certains traitements de semences agricoles, de crèmes antiseptiques et antibactériennes mais également des nouvelles ampoules basse consommation. Autant d’articles que nous côtoyons régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement.  
1- Un amalgame dentaire a vocation à réparer une dent en comblant la cavité cariée. 
2- Le saturnisme désigne une intoxication au plomb. 
3- L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a été remplacée dans ses fonctions en mai 2012 par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
4- Depuis 2001, la question de la lutte contre les rejets de mercure et ses composés dans l’environnement, et leur impact sur la santé humaine, sont débattus dans le cadre du Forum ministériel mondial sur l’environnement du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). 
5- Président de l’Alliance Mondiale pour une Dentisterie Sans Mercure, Charlie Brown fait la promotion d’un procédé connu sous l’appellation de « restaurations atraumatiques (ART) », réalisées à partir de verre ionomère. De faible coût et ne nécessitant pas d’électricité, cette méthode ouvre des perspectives intéressantes en vue d’un meilleur accès aux soins dans les régions pauvres.

Cécile Cassier


29/09/2012
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